Pourquoi votre médecin est-il en grève ?

Aux quatre coins de France, la fronde tarifaire gagne du terrain. Des médecins à bout décident d'augmenter le prix de leurs consultations. D'autres menacent de se déconventionner et un appel à la grève massive et illimitée a déjà été lancé pour le 13 octobre. La colère gronde et le malaise est profond. Alors oui, la rentrée s'annonce explosive. Mais sachez que ce mécontentement généralisé ne peut être cantonné aux soignants ni à une simple question financière ! Nous devrions tous participer à ce mouvement, nous devrions tous nous sentir concernés, car c'est l'avenir de notre système de santé, solidaire et de qualité, qui est en jeu. Explications.
La sourde oreille des autorités... et de la population
Le vil chantage de la Cnam
Cette année ont eu lieu les négociations entre les médecins libéraux et l'Assurance maladie pour signer une nouvelle convention qui devait entre autres établir le nouveau tarif des consultations. Mais sourds aux revendications des soignants, les autorités de tutelle ne sont pas arrivées à un compromis. Pire, elles ont conditionné des tarifs préférentiels à un contrat d'engagement territorial. En clair, pour accéder à une revalorisation supérieure, il fallait répondre à plusieurs exigences (travailler plus d'heures, augmenter le nombre de patients, ou participer aux besoins de soins du territoire, entendez travailler le week-end ou faire des gardes de nuit). Bien sûr, toutes les cases ne devaient pas être cochées pour pouvoir bénéficier des tarifs majorés, mais ce système basé sur le "donnant-donnant" (le directeur de la Cnam, Thomas Fatôme s'en est même félicité) a écoeuré les soignants qui l'ont vécu comme une sorte de chantage.
Eux qui, durant ces années de pandémie, ont montré leur dévouement et se sont sacrifiés pour la population, ne s'attendaient pas à devoir signer "un contrat d'engagement", comme s'ils ne l'avaient pas déjà démontré leur engagement... Toujours plus, pour des cacahuètes en échange. Il y a un moment où la coupe est pleine. Ça n'a pas manqué, les négociations se sont soldées sur un échec (les syndicats ont refusé de signer le contrat) et aucun accord n'en est sorti. Comme il est d'usage dans ces cas-là, un règlement arbitral a été mis en place (un haut fonctionnaire est nommé pour couper la poire en deux avant de nouvelles négociations) et le résultat n'a pas non plus été très concluant (en même temps, donner le dernier mot à un fonctionnaire de l'État...). Résultat : le devoir d'engagement territorial passe aux oubliettes (ça sera déjà un bon début pour de futures négociations), mais la revalorisation tarifaire, de 1,5 euros par consultation, est loin de répondre aux demandes des médecins libéraux. Ridiculement petite, elle est même vue comme une provocation.
Une situation impossible
Car, ne l'oublions pas, le tarif des consultations n'a pas changé depuis sept ans (alors que l'inflation bat des records) et la moyenne européenne pour une consultation chez un généraliste tourne autour de 46 euros. Rappelons aussi que les 25 euros ne vont pas directement dans la poche de votre médecin. De cette somme, il faut déduire les charges (plus de la moitié) qui, quant à elles, ont fortement augmenté ces derniers temps. Loyer, matériel, eau, gaz... Les praticiens doivent faire face à une augmentation des prix à tous les niveaux, et la hausse de 1,5% n'est même pas suffisante pour compenser l'inflation sur une année (5,2% en 2022 et autour de 7% en 2023).
À ces frais supplémentaires s'ajoutent des tâches administratives toujours plus nombreuses qui font perdre un temps précieux aux praticiens. Les médecins ont de plus en plus de mal à rentrer dans leurs chiffres (sauf à faire de l'abattage, mais ça on va le voir un peu plus loin).
L'indifférence de la population et les campagnes de dénigrement
Durant les mois de négociations, la population a peu soutenu le mouvement des médecins libéraux. Certes, la situation est compliquée pour tout le monde, mais elle aurait pu faire preuve de solidarité. Il faut dire, à sa décharge, que les médias ont peu relayé les revendications des soignants. Pas grand remous lors des mobilisations générales de cet hiver (fermeture massive des cabinets), alors qu'elles étaient plutôt historiques (les libéraux font rarement la grève). Pire, des campagnes de dénigrement à l'égard des soignants ("médecins trop chers", etc.) ont commencé à se développer un peu partout (voir à ce sujet, un précédent article).
Par ailleurs, les propositions de loi coercitives à l'égard des médecins de la part de parlementaires de tous bords se sont multipliées (la plus connue, la fameuse loi Valletoux sur la permanence des soins pour tous). Relayées par les médias (celles-là oui...), elles ont contribué à ternir la réputation des médecins véhiculant l'image d'un professionnel irresponsable, peu sensible aux problèmes d'accès aux soins de leurs compatriotes ! Le monde à l'envers. Car les praticiens souffrent de plein fouet du manque de personnel soignant. Des médecins en moins, ça veut dire toujours plus de malades et l'impossibilité d'offrir des soins de qualité.
Le débat est donc loin de se réduire à une question financière. Si les soignants se battent, ce n'est pas pour défendre leurs propres intérêts. L'enjeu est beaucoup plus large. Il concerne aussi les soignés et tout notre système de santé mis à mal par des mesures contre productives et coercitives.
Ignorer le mal-être des soignants, c'est mettre notre système de soins en danger
Dégradation de la qualité des soins
Il suffit de demander à tous les médecins du secteur 1 qui appliquent, depuis quelque temps, des dépassements d'honoraires, alors que les risques de sanctions sont bel et bien présents. Pour eux, c'est une question de survie. Pour ne pas devoir faire l'abattage (multiplier les patients pour rentrer dans leurs frais), ils ont décidé de mettre en place cette mesure drastique. Le médecin doit pouvoir accorder du temps à ses malades pour assurer des soins de qualité. Personne ne gagne dans l'enchaînement des rendez-vous. Ni le praticien qui s'épuise physiquement et moralement (car le sentiment d'un travail bien fait n'y est pas), ni le malade qui est mal soigné, ni la société, car des patients qui ne sont pas correctement pris en charge vont sûrement finir par coûter plus chers à la société, lorsqu'ils seront hospitalisés...
Mais alors le nombre de prises en charge se verrait encore plus réduit ? Non, car une augmentation de la consultation permettrait aux praticiens de s'appuyer sur des aides (secrétaire, logiciel de secrétariat, aides soignants, etc.) pour se libérer de certaines tâches et gagner en temps médical.
Des déserts médicaux toujours plus nombreux
Taper sur l'attractivité de la médecine, c'est aussi s'assurer des manques de médecins de plus en plus importants demain et donc une hausse des déserts médicaux. Car qui va vouloir s'installer dans des conditions pareilles ? Pourquoi choisir la carrière de médecin généraliste quand d'autres professionnels de santé ont des salaires bien mieux rémunérés ? En plus, si on leur ajoute des obligations... D'autres disciplines seront choisies par les futurs carabins.
Bien sûr, il y aura toujours des jeunes passionnés pour suivre la carrière de médecin généraliste. Mais ceux-là vont-ils avoir envie de s'installer à leur compte ? Partir à l'étranger, devenir salarié... D'autres alternatives s'offrent à eux. Notre système de santé (considéré encore dans les années 2000 comme l'un des meilleurs au monde), qui repose sur l'équilibre entre l'hôpital et la médecine de ville (entendez les médecins libéraux), risque d'en être affecté.
Et alors, on en arrive à une question qui nous concerne tous. Vers quel modèle nous dirigeons-nous sans la médecine de ville ? Car défendre la médecine libérale, c'est défendre une santé où le médecin n'est pas dépendant d'un financeur extérieur. Rien ne s'interpose entre le soignant et le soigné, et surtout pas une vision comptable de la santé. Dans un contexte où le désengagement de la Sécu est de plus en plus important, où les mutuelles multiplient les réseaux de soins (qui sont bien davantage préoccupés à répondre à leur cahier des charges qu'aux demandes des patients), où les grands groupes financiers flairant l'aubaine y vont de leur offre marchande, l'intérêt du patient risque fort d'en prendre un coup. Les riches se soigneront dans le privé, mais les autres ? Et le concept de solidarité propre à notre système de santé ?
LML du côté des soignants et des soignés !
Fondée par des médecins, notre mutuelle LML se bat pour permettre aux soignants de réaliser des soins de qualité, à un prix juste, et aux patients d'être bien couverts, sans surcoût, en limitant au maximum le reste à charge. Misons sur une médecine de qualité et non sur une médecine au rabais ! Pour en savoir plus sur notre histoire et nos combats, c'est ici !
Médecins, n'hésitez pas à télécharger notre affiche A4 (en bas de l'article), facilement imprimable, à mettre dans votre salle d'attente ! Pour sensibiliser vos patients aux raisons de la grève et à ses enjeux !