Pourquoi la répartition régulée des médecins est-elle une fausse bonne idée ?

La question est d’actualité. Flécher l'installation des médecins pour réduire les inégalités d'accès aux soins et lutter contre les déserts médicaux. Pourquoi pas, non ? L’idée à première vue semble bonne, facile à appliquer, une sorte de solution miracle à un problème des plus préoccupants. Le hic, c’est quand on gratte légèrement. Une analyse un peu détaillée de la situation (chiffres à l’appui) montre qu’elle n’est pas aussi simple et que la mesure de régulation pourrait bien s’avérer contre-productive.
Les déserts médicaux, un problème mal pensé
La proposition de régulation repose sur l’idée erronée qu’il existe en France des zones surdotées en offre de soin, ce qui n’est pas du tout le cas. 87% du territoire est classé en zone sous-dotée. Et le phénomène ne touche pas seulement les zones rurales, puisque les villes sont aussi fortement concernées. Prenez l’Île-de-France, par exemple, considérée comme le plus grand désert médical du pays.
Cette réalité amène à considérer le problème autrement. La véritable cause des déserts médicaux n’est pas la mauvaise répartition des soignants, mais bien la pénurie des praticiens sur le territoire national. Un problème qui risque de s’aggraver ces prochaines années avec le départ en retraite de beaucoup d’entre eux, car rappelons que 31,1 % des médecins en activité sont âgés de 60 ans et plus… Bref, la France a besoin de former plus de médecins et d’inciter ces derniers à s’installer (comprenez en libéral, car ce ne sont pas les médecins hospitaliers ou salariés qui maillent le territoire).
La partie n’est pas gagnée. Aujourd’hui, on estime que 21% des étudiants ayant franchi le cap de la première année ne termineront pas leur cursus de médecin (en cause les conditions de travail difficiles et l’absence de valorisation digne), ou ne le termineront pas en France (de plus en plus de médecins s’expatrient. Rappelons que la moyenne d’une consultation chez un généraliste en Europe est de 50 euros, alors que chez nous elle est, depuis peu, à 30…).
La coercition, une solution contre-productive
Bref, la situation est déjà assez compliquée comme ça, et on peut se demander si le fait d’ajouter une contrainte à l’exercice ne risque pas de décourager encore plus les jeunes médecins à s’installer. Et s’il y a moins d'installations, il y aura donc moins de médecins sur le territoire et encore plus de déserts médicaux. La difficulté d’accès aux soins ne va que s’aggraver avec la mise en place de mesures coercitives.
Mais si les zones non sous-dotées ne concernent qu’un mini pourcentage du territoire, pourquoi alors ne pas la mettre en place sans faire autant de bruit ? Tout d’abord, c’est rajouter une contrainte administrative aux médecins qui croulent déjà sous la paperasse (environ 10 à 12h par semaine…) et il vaut mieux préserver leur temps de soin. De plus, c’est une attaque directe à l’un des piliers de la médecine libérale : la liberté d’installation. En obligeant le médecin à demander l’autorisation à l’ARS (Agence régionale de santé) avant toute installation, ce dernier perd de fait son autonomie. Privé de l’un “des avantages majeurs” de la profession libérale, il risque de se tourner vers d’autres modes d’exercice, comme le salariat. Or les médecins salariés sont à 35h, loin des 50/60 heures hebdomadaires des praticiens libéraux. Donc, au final, moins de médecins disponibles…
Par ailleurs, qui peut garantir qu’un médecin, qui a été interdit de s’installer dans un lieu, va choisir de s’installer dans un autre, notamment dans un désert… Car lorsque l’on parle de “désert médical”, il faut entendre “désert tout court” : absence de services publics (école, etc.), absence de possibilités professionnelles pour le conjoint, mais aussi absence d’un réseau de proximité d’autres professionnels de santé (la disparition des petites cliniques privées ces dernières années au profit des macro hôpitaux a privé le généraliste libéral d’un soutien important). Qui va vouloir s’installer (après plus de 10 ans d’étude) dans un lieu où l’épanouissement personnel et professionnel est fortement compromis ? Les autorités de tutelle veulent obliger le praticien à cette installation, mais rappelons que c’est l’État lui-même qui a construit ces déserts médicaux par son désengagement progressif et ses mesures polémiques (suppression des rémunérations publiques pour les cliniques privées prenant en charge une partie des urgences médicales sur le territoire, fermeture des petites structures (les maternités notamment) au profit des macro hôpitaux, élimination tardive du numerus clausus qui a, durant une trentaine d’années, limité drastiquement le nombre de médecins formés, etc.).
Les coupables ne sont pas les médecins
Les médecins ne sont pas responsables de la faillite de l’État sur certains territoires, alors cessons de les montrer du doigt. C’est sûr, pour les politiciens, les praticiens sont la cible idéale. Ça évite une remise en cause (pourquoi avoir autant tardé dans la suppression du numerus clausus quand la catastrophe se voyait venir ?) et la nécessité de penser des solutions, notamment sur le long terme. Remise en question, long terme… pas des tendances très appréciées en politique malheureusement.
Les députés ou le gouvernement sont plutôt friands des actions qui donnent l’impression de taper fort sur un problème qui préoccupe particulièrement l’électorat. On montre les muscles, ça fait du bruit, mais finalement le problème reste intact (voir s’aggrave). C’est pourquoi la question de la régulation des médecins revient souvent dans l'hémicycle. Macron en avait fait sa promesse de campagne en 2022 avant de se rétracter. Aujourd’hui, l’idée revient à la charge avec la fameuse loi Garot et le soutien de Bayrou à la proposition. Le député à l’initiative du texte de loi (qui a été adoptée finalement mercredi 2 avril par une majorité de députés) a même parlé de “courage politique” en évoquant sa mise en place. Mais peut-on parler de “courage” quand on s’en prend “aux victimes” d’un système qu’on a soi-même mis en place, quand on va dans le sens de la majorité électorale (la plupart des Français sont pour une régulation de l’installation des médecins) ? Faire preuve de courage politique, ne serait-il pas justement de faire le contraire ? Et essayer de trouver des solutions, qui certes n’ont pas l’éclat d’une interdiction, mais visent une transformation positive et réelle du système ?
Car des solutions pour lutter contre les déserts médicaux, il y en a. Comme créer des annexes de CHU sur l'ensemble du territoire pour inciter les jeunes à s'installer dans leurs lieux de formation ou encore inciter les autorités à fournir des locaux pour favoriser les installations et le travail en équipe avec d’autres professionnels de santé et assistants. D’autres prônent la mise en place d’un système de médecine en alternance où les praticiens qui accepteraient de donner de leur temps dans des cabinets secondaires (au sein de déserts médicaux), seraient récompensés par "des avantages fiscaux et salariaux". Les médecins ont des alternatives, malheureusement comme souvent en politique, l’écoute n’est pas au rendez-vous et les députés restent sourds aux recommandations des praticiens, pourtant en première ligne.
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