La régulation de l’installation des chirurgiens-dentistes

Depuis le 1er janvier 2025, les chirurgiens-dentistes ne sont plus libres de s’installer où ils veulent. La mesure, négociée entre l’Assurance maladie et les principaux syndicats de dentistes libéraux, lors de l’adoption de la convention dentaire 2023-2028, a été instaurée pour tenter de résorber les déséquilibres sur le territoire. Décryptage des détails techniques, des enjeux et des tensions que cette nouvelle régulation suscite.
La cible ? Les zones sur-dotées
Un nouveau zonage fait par les ARS
Afin d’identifier les zones non prioritaires, les agences régionales de santé (ARS) ont établi une carte, disponible sur le site Carto santé (elle fera l’objet de mises à jour bisannuelles). Chaque territoire est classé selon plusieurs critères reprenant notamment le nombre de chirurgiens-dentistes en exercice et les besoins en soins bucco-dentaires de la population.
Dans les zones jugées surdotées, appelées « non prioritaires », couvrant 5 % de la population et 9 % des praticiens, les dentistes ne pourront plus s’installer librement. Ils suivront la règle du « 1 pour 1 », soit une arrivée conditionnée au départ d’un autre praticien (sauf à s'installer sans conventionnement de la CPAM. Les patients ne pourront donc plus être remboursés par l’Assurance maladie).
Le praticien sortant ne disposera que d’un an maximum pour trouver son successeur. Faute de quoi, le conventionnement, devenu disponible, sera géré par la commission paritaire départementale (CPD). Le conventionnement du nouveau dentiste devra être approuvé par la caisse locale d’Assurance Maladie, après consultation de la CPD.
Cette régulation s’étend également aux centres dentaires, qui se sont multipliés ces dernières années et qui ont contribué à une concentration excessive dans les zones déjà bien pourvues. Ils ne pourront plus recruter ou augmenter leurs effectifs dans les zones non prioritaires. Par ailleurs, tout centre qui souhaiterait ouvrir dans une zone non prioritaire ne peut faire l’objet d’un rattachement à la convention médicale.
Les dérogations
Plusieurs possibilités de dérogation existent. Les chirurgiens-dentistes spécialisés en orthodontie, en chirurgie orale ou en médecine bucco-dentaire demeurent libres de s’installer en zone non prioritaire sans restriction.
Certains éléments liés à la vie personnelle du praticien peuvent conduire à une dérogation comme une situation médicale grave, la mutation professionnelle du conjoint ou encore une garde alternée des enfants.
Valoriser l’installation en zones sous-dotées
À l’opposé, les zones dites sous-dotées, couvrant 30 % de la population, bénéficient d’incitations renforcées pour attirer de nouveaux praticiens. Elles comprennent notamment :
Une prime d’installation doublée, passant de 25 000 à 50 000 euros. Elle est financée en deux temps par l'Assurance maladie, avec une partie versée la première année et une autre, deux ans plus tard.
Une aide annuelle au maintien de l’activité, augmentée de 3 000 à 4 000 euros.
Ces deux aides ne sont pas cumulables en même temps, mais peuvent se succéder.
Et les autres zones ?
Les zones sous dotées peuvent également bénéficier d’aides attribuées par les collectivités locales.
Les zones appelées “intermédiaires” et “très dotées” ne font l’objet d’aucune aide ou régulation.
Les étudiants opposés à ce système "coercitif"
Si la mesure résulte d’un accord entre l'Assurance Maladie et les deux principaux syndicats de dentistes FSDL (Fédérations des syndicats de dentistes libéraux) et CDF (Chirurgiens dentistes de France), qui représentent plus de 95 % de la profession, elle a néanmoins a suscité des doutes, même parmi les syndicats signataires. Le Dr Pierre-Olivier Donat, président du syndicat Les Chirurgiens-dentistes de France (CDF), l’a qualifié de « point noir » Mais ce sont les jeunes qui se sont mobilisés, directement concernés par la mesure qui touche l’un des piliers de la profession libérale. Pour nous, c'est le début d'un système coercitif", s'exaspère Ralitsa Androlova, présidente de l'Union nationale des étudiants en chirurgie dentaire (UNECD). "Ce dispositif met fin à la liberté d'installation, alors qu'on s'engage dans ces études pour exercer un métier libéral." La mesure pourrait aussi avoir un effet contreproductif en décourageant les futurs dentistes de s’installer.
Des alternatives à la coercition existent
Rappelons que la concentration des dentistes est due à plusieurs facteurs, notamment à l’abandon de certains territoires par les pouvoirs publics. Et comment obliger des jeunes soignants, après plusieurs années d’études, à s’installer là où les services publics sont inexistants (école, etc.) ? Pourquoi devraient-ils payer les pots cassés d’un système dont ils ne sont pas responsables ?
D’autres alternatives existent à la coercition, comme la création d’université dans les territoires sous-dotés (une faculté d'odontologie a ouvert à Tours en 2022 par exemple) ou créer de bonnes conditions d'accueil sur les lieux de stage pour inciter les jeunes à s’installer, sachant qu'une majorité de soignants tend à s'installer dans la région où ils ont effectué leur internat.
Les médecins vent debout contre la coercition
Comme vous le savez peut-être, la loi Garot , qui vise à réguler l'installation des médecins libéraux et à rétablir l'obligation de permanence des soins (PDS), a récemment été votée à l’Assemblée (pour en savoir plus sur le sujet
👉https://bit.ly/3QZkeda). Fortement décriée par la profession, elle a engendré une grande mobilisation (grèves, manifestations), même si les politiciens sont pour l’instant restés sourds aux revendications des praticiens.
Alors certes, il existe des spécificités propres à leur profession respective et les comparaisons doivent se faire avec des pincettes, mais l’on peut regretter parfois le manque de dialogue entre les métiers de la santé. Une alliance sur des sujets communs, ou du moins une réflexion collective sur des problématiques partagées, pourrait donner plus de poids à leurs arguments et une portée plus grande à leurs prises de position. Alors que les discours démagogiques s’imposent de plus en plus, une telle collaboration ne serait pas du luxe…
La Médecine Libre a toujours prôné ce genre coopération. La plateforme anti-réseaux, Liberté Santé, destinée à tous les professionnels de santé, est un exemple de cette volonté unificatrice. Ensemble, nous pouvons préserver un système de santé de qualité !