La docteure Andrée Leseur et sa solution contre les déserts médicaux. Interview.
En quelques mois, elle était parvenue (avec son équipe de remplaçants) à effacer de la carte un désert médical. Et pourtant, les autorités sont restées sourdes à son idée (et ce n'est pas faute d’avoir insisté) d’un statut d’assistants territoriaux ouverts au secteur 2. Pas de projet pilote en perspective donc, et surtout de nouvelles réglementations (loi Garot, amendement OPTAM, etc.) qui ont mis à mal le fonctionnement de son cabinet médical. En colère face à une situation qu’elle décrit “comme un gâchis”, la docteure Andrée Leseur n’a pas abandonné la partie et entend bien faire parler de sa solution efficace et prouvée pour lutter contre les déserts médicaux. Le jeu en vaut la chandelle. Explications.
Racontez-nous un peu votre expérience professionnelle.
Aujourd’hui, je suis installée à Mary-sur-Marne, où je travaille comme médecin généraliste. J’ai été hospitalière toute ma vie. J’ai exercé en tant que médecin urgentiste, mais à un moment, monter des garde à plus de 50 ans, ce n’est plus possible… Donc j’ai commencé par faire des remplacements. Et puis, je suis allée aux Assises du déconventionnement, en mars 2023, et au cours d’un powerpoint présenté par un urologue, j’ai découvert que j’étais éligible au secteur 2, ce que je ne savais absolument pas. Alors en septembre 2023, je me suis installée en Loire Atlantique, avec mes deux remplacés qui étaient secteur 1, comme collaboratrice secteur 2. Puis, pour rapprochement familial, parce que mon père allait très mal, j’ai fait ma première installation, toute seule comme une grande en libéral, à Mary-sur-Marne, au nord du 77, le 18 mars 2024. Très vite, via les réseaux sociaux, une bande de remplaçants est venue me rejoindre et on a décidé d’ouvrir 7 jours sur 7. Étant donné que mon père était malade, ça m’était égal de travailler le week-end. On a fait le planning, comme j’avais l’habitude de le faire aux urgences, pour ouvrir tous les jours.
Les remplaçants étaient donc également en secteur 2 ?
Quand tu touches 80 à 100% de rétrocession, les honoraires sont facturés par ton remplacé. La question de secteur ne se pose pas avec les remplaçants. Ils font une heure pour venir, alors qu’ils pourraient très bien consulter en bas de chez eux à 30 euros, mais ils préfèrent venir ici. Moi j’étais à 50 euros, mais avec la modification de l’OPTAM, je suis passée à 47. Bref, en fin de journée, ils arrivent à sortir 200 euros de plus en net, ce qui compense les 8 consultations qu’ils auraient pu faire en bas de chez eux en secteur 1.
Les motivations sont-elles seulement économiques ?
Il n’y a pas que le côté financier. Ici, il y a des patients qui n’avaient pas vu de médecin depuis 4 ans. Ce sont des dossiers un peu compliqués et il y a un vrai service rendu. Cet aspect là du travail les intéresse aussi aux remplaçants. Ils font de la médecine.
Que s’est-il passé ensuite ?
Tout allait bien jusqu’à ce que la loi Garot sorte et que l’on dise : “les remplaçants, c’est pas plus de 4 ans”, ou encore “les dépassements vont diminuer”.
La fin d’une aventure positive qui est allée bien au-delà de la simple expérience.
En septembre dernier, mes remplaçants avaient exprimé leur volonté de faire comme moi, mais pour cela ils devaient faire un minimum d’assistanat, donc ils étaient obligés d’aller à l’hôpital. Alors ils ont eu cette idée - moi je ne suis que leur porte-parole - “d’assistant territorial”.
Le projet a ensuite fait parler de lui…
Oui, c’était très étonnant, car l’idée a été reprise par le Conseil de l’ordre. Nous, depuis le mois de septembre, on avait mis une pétition, dans la salle d’attente, pour expliquer notre projet. Les jeunes veulent rester dans mon cabinet. Ils se sentent “libéraux libéraux” (moi ça ne me serait jamais passé par la tête parce que j’ai été hospitalière toute ma vie). Alors pourquoi pas ? Au lieu de faire leur deux ans d’assistanat à l’hôpital, ils les font ici, à la campagne où je peux les encadrer, car je suis maître de stage universitaire et spécialiste en médecine générale. C’est gagnant-gagnant. L’idée est montée en flèche. Conseil national de l’ordre, Conférence des doyens… C’est sorti un peu partout. On s’est dit qu’on était en accord avec l’actu. Là-dessus, mon père décède le 11 janvier, et pendant ce temps, mes remplaçants s’organisent pour assurer la continuité des soins tous les jours. J’étais épatée.
Votre pétition est même arrivée jusqu’aux oreilles du ministre.
Le 21 janvier, j’écris au ministre, Yannick Neuder, en lui expliquant ce qu’on a fait. Je lui demande pourquoi on ne le mettrait pas en place. Le 13 mars, on reçoit une réponse de Neuder qui nous dit de passer les voir. On y est allés le 16 avril pour leur expliquer notre expérience et notre projet, mais Olivier Palombi, l’ancien Doyen de la Faculté de médecine de Grenoble nous dit que le secteur 2, c’est hors de question. On lui rétorque qu’on a réalisé 8 000 consultations en 10 mois. Un médecin généraliste en fait normalement 4 000 par an. Et que s’ils ne veulent pas ouvrir le secteur 2 à tout le monde, ils n’ont qu’à mettre en place des quotas pour les assistants territoriaux selon les besoins de chaque zone désertique. Un projet pilote peut être monté. Malheureusement, ça ne l'intéressait pas trop.
Brillante écoute…
Le lendemain, je lui écris à nouveau et je lui demande pourquoi nous, élites autoproclamés de praticiens hospitaliers, refusons aux jeunes ce qu’ils demandent aujourd’hui. “Votre seul souci, je l’ai compris en fin de réunion hier, c’est de rendre votre copie pour le premier ministre le 25 avril et son fameux plan gouvernemental de lutte contre les déserts médicaux. Ce qui vous tracasse uniquement, c’est de savoir combien vous allez donner de salaire à un médecin junior ou à un jeune médecin qui irait dans un désert. Mais je vous le répète, notre solution relève du gagnant-gagnant. Il n’y a pas de salaire à verser. Le jeune travaillera comme il veut et il sera payé avec ses honoraires, donc vraiment on ne comprend pas pourquoi vous ne faites pas de notre expérience un projet pilote. Ça en reste là.
Aucune réaction de la part des autorités, mais pire encore, les nouvelles réglementations mettent à mal votre organisation.
Bayrou dévoile son plan de solidarité territoriale où, à la page 20, il sort le statut de praticien territorial plutôt qu’assistant territorial et décide que ça n’ouvrira pas le secteur 2. Là-dessus, la loi Garot est votée. L’ensemble de mes remplaçants se met alors en grève pour tout le mois de mai. Moi ça me permet de voir comment je fais pour travailler toute seule. Finalement je m’en sors très bien. Là, par exemple, ça fait une heure que je fais des papiers. Les remplaçants font des erreurs administratives, et il faut reprendre tout ça, c’est du travail supplémentaire que je fais pour eux. Il faut que les gens comprennent bien. Moi, je fais tout ça pour les remplaçants et pour les 4 000 consultations qu’on ne fera pas cette année, donc les 2 000 patients qu’on va laisser sur le carreau, car mes remplaçants ne seront plus là.
Malheureusement, le désert que vous aviez gommé en quelques mois refait surface.
Sur le territoire, il y a 160 000 patients et 87 médecins généralistes. 12 sont partis à la retraite au 31 décembre. Un véritable tsunami. 24 000 patients supplémentaires, je ne sais pas où les mettre. Et puis, je réduis de plus en plus pour me protéger, car je n’ai pas mes remplaçants qui certes font des erreurs administratives, mais débitent. Ils travaillent deux fois plus vite que moi et rendent véritablement service. Grâce à eux, le boulot est fait : les patients sont examinés et ils ont leurs ordonnances et leurs bilans biologiques. Par ailleurs, sur les 75 médecins restants, il y en a 34 qui sont éligibles au départ en retraite cette année et la moitié des 40 restants a plus de 60 ans. Autant vous dire que je suis la plus jeune sur le secteur.
L'avenir s'annonce sombre…
On a bien bossé, on a proposé une solution et cette solution n’a pas été entendue. Elle a même été tapée dessus. Car j’ai reçu le fameux avenant à mon OPTAM où je passe de 32% de droit de dépassement à 30% et de 20% de consultation en ALD à 30%. J’ai donc fait appel à la CNAM en disant que s'il n’y avait pas de dépassement, il n’y aurait pas non plus de remplaçants, car ils viennent aussi pour les 200 euros en plus. J’ai l’impression que le système que nous avons monté est mis à mal de partout et c’est absolument déprimant. On a proposé une solution qui fonctionne, on a exposé le travail qu’on a fait depuis un an. Ce n’est même pas une idée qu’on a soumis… Mais voilà, à mes remplaçants, il leur faut un statut parce que, cette année, il y en a deux qui sont devenus docteur. L’un d’eux a déjà pris un poste d’assistant à l’hôpital, et j’ai déjà trouvé un poste d'assistant au deuxième, que je considère comme mon adjoint. J’espère pour lui qu’il sera parti dans un mois. Il faisait 240 consultations par mois.
Pensez-vous qu’il y ait encore une possibilité de dialogue avec les autorités ?
Vous vous rendez compte que, pour 10 euros en plus la consultation, le système s’effondre ? Car je fais à peu près 10 euros de dépassement sur les 8 000 consultations. C’est dramatique pour la population quand même. Ici, les gens sont au courant. Je suis passée à la télévision sur la 3 et dans le Parisien. Malgrè tout, le ministre reste sourd à nos explications, et pourtant tous les médecins libéraux disent que c’est la solution. Et puis, sa volonté de disséminer les médecins juniors sur le territoire est prévue pour novembre 2026. Mais en attendant on fait quoi ? Ici, par exemple, au lieu des 8 000 consultations qu’on devrait faire, on va en réaliser 4 000. Je vais prendre un interne, donc je ne vais en faire que 3 000. On perd l’équivalent d’un temps et demi, car je vais être “une bonne élève”. Je vais faire tout ce qu’on m’a dit. Je n’ai pas le choix et c’est dramatique. On ouvrait 7 jours sur 7 et maintenant on va ouvrir 3 jours par semaine, et au lieu de voir 40 patients, quand je vais avoir un interne, je vais en voir seulement 20, ce qui nous fera un total maximum de 3 500 consultations, alors qu’on en faisait 8 000, et tout ça pour 10 euros.
Et c’est justement là que la mutuelle pourrait prendre le relais. Rembourser convenablement les dépassements d’honoraires, pour une prise en charge de soins de qualité payés au juste prix, comme le fait La Médecine Libre.
Moi je suis ravie que le sujet intéresse les mutuelles. C’est ce que je dis aux patients. Les mutuelles aujourd'hui remboursent la pseudo médecine, alors qu’elles devraient se focaliser sur la médecine et la prendre en charge totalement, ce serait plus cohérent. J’ai rédigé une pétition en ligne qui a été vue plus de 30 000 fois, même si elle n’a été signée que 1 100 fois. Mais j’ai aussi mis en place une pétition papier qui a été signée plus de 2 000 fois. Ma patientèle est âgée, flasher un QR code, ça ne marche pas. J’ai amené tout ça au ministre, ça ne l’a pas intéressé. Alors j’ai rendu mon local que je louais de ma poche pour 10 000 euros. Et puis Bayrou a dit que c’était aux collectivités d’accueillir les jeunes, alors j'ai dit au comité de commune que c’était à eux maintenant de payer. Car qu'ont fait les politiciens à part de beaux discours sur notre système de soins ? Rien. Et j’ai écrit à tout le monde, aux sénateurs, à la région, au département…Donc voilà, nous, au lieu d’être 6 on va être ¾ d’un. C’est du gâchis. Alors aujourd’hui, je suis en colère. Tout pousse contre moi, mais je garde un pied dans la porte. Ça fait mal. Mais parce que le sujet me tient à cœur, je reste là. J’ai besoin de mes patients pour pousser la porte.
Nous pouvons tous nous mobiliser pour ces projets qui montrent que la coercition n’est pas la solution et que des alternatives, efficaces et positives pour tous les acteurs concernés, existent ! Nous vous invitons à signer la pétition de la docteure Leseur 👉https://bit.ly/4mDuGWp